« Il était une fois » ... Oh non trop banal. Et si je commençais par « il fut un temps où » ? Et puis quoi encore je ne suis pas né au Moyen Age ! Bon réfléchissons ... ah ça y est j'ai trouvé !! La vie est comme des montagnes russes, il y a des hauts et des bas mais jamais de constante. Quoi que, il y a bien plus de bas que de hauts, j'entends par là qu'on se rappelle plus de nos souffrances que de nos bonheurs éphémères. Et oui que voulez-vous je suis un éternel pessimiste mais j'ai mes raisons. Vous le seriez aussi si votre père vous aviez abandonné à la naissance et que votre très chère mère avait tenté de vous noyer dans la baignoire. Je suis cinglé c'est ce que vous vous dîtes ? Croyez-moi j'aimerais l'être sur ce plan là mais c'est bel et bien la vérité. Celle qui m'avait mis au monde était une fervente catholique ne vivant que par la Bible et ses préceptes. Tu parles d'une existence ! Quoiqu'il en soit, après seulement quelques mois de vie, les premiers symptômes de ma maladie se manifestèrent et pris de panique, elle fut persuadée que sa relation sexuelle avant le mariage avait été frappée par le diable d'une malédiction. J'étais atteint de crises d'épilepsie chroniques étant enfant et en gros j'avais été punit parce qu'elle avait batifolé avec mon paternel avant les lois sacrées de l'union que prône inlassablement l'Église. Si ce n'est pas injuste ça. Condamné à être le fléau de Belzébuth, ma mère se mit en tête de me « laver de tout pêché ». Et quoi de mieux bien sûr que de me noyer dans les eaux aromatisées et bulleuses de la salle de bain ? La folie ça doit être de famille. Heureusement pour moi, des voisins un peu trop curieux à l'époque aperçurent le triste spectacle à la fenêtre et l'empêchèrent de commettre l'irréparable. Beuglant à qui voulait bien l'entendre qu'elle devait le faire pour protéger tout le monde, elle fut rapidement enfermée à l'hôpital psychiatrique le plus proche. Elle passa un nombre incalculable d'années là bas avant finalement d'arriver à mettre fin à ses jours en s'étranglant avec ses propres draps. Mais si je me souviens bien, le suicide … ce n'est pas interdit dans la religion catholique ? Après tout ce qu'elle a fait pour se repentir, là voilà finalement qui s'offre un allez simple pour l'Enfer si on en croit le Nouveau Testament. Quand je vous disais que la folie coulait dans nos veines. Pour ce qui est de mon père, je ne sus jamais qui il était ni à quoi il ressemblait.

Après ce début de vie prometteur je vous laisse imaginer pourquoi l'on m'a donné le nom de Samaël. Non vraiment ? Alors lisez ceci : « Samaël est une importante figure du Talmud. Il est décrit comme le délateur, séducteur et destructeur du monde. Parfois assimilé à Satan, Samaël est considéré comme le nom angélique du Diable. Ce nom signifie étymologiquement " le venin de Dieu ", l'ange de la mort ». Charmant n'est-ce pas ? C'est une preuve irréfutable de l'amour que pouvait me porter ma mère.

En ce qui me concerne, je fus confié à une modeste famille de Boston qui m'éleva dans les préceptes les plus dignes et respectables de la région. Non vous y croyez ? Sincèrement je ne serai pas ce que je suis aujourd’hui si j'avais eu une enfance normale et dénuée de vices. Mon père adoptif, paix à son âme, avait très vite compris que dans son métier de commercial, ma mémoire photographique pouvait lui être d'une grande utilité. Enfin je dis commercial par ce que c'était sa couverture, on aurait pu plutôt le qualifier de trafiquant ou d'arnaqueur dans le monde des affaires. Ma mère de substitution, elle, était trop naïve pour se rendre compte de quoi que soit. Et après on s'étonne que je sois pessimiste ! Bon je vous l'accorde, c'est grâce en partie à lui que j'ai pu développer ce don précieux qui m'a permis d'avoir un oeil expert sur le monde qui m'entoure, et accessoirement et retenir un nombre exceptionnel de choses en un temps record. Tout ce qui me fallait pour mener à bien mes études de photographe professionnel, devenant ainsi l'un des plus demandés à travers le globe. Oui j'ai bien dit photographe professionnel. Vous ne pensiez tout de même que j'allais rester pour le reste de ma vie le bébé frappé par la marque de Lucifer ? Inutile de vous dire que mon père adoptif le vit d'un très mauvais œil pour ses affaires puisque d'ailleurs deux ans après il se faisait tuer dans un règlement de comptes. Il faut croire que sans moi il était désespéré. Au niveau héritage c'est sans doute à cause de ma véritable mère que j'ai développé une phobie prononcée pour les clowns. Ne me demandez pas pourquoi, un instinct dira-t-on, car après tout j'ai 50% de son ADN en moi. Du coup je suis techniquement composé de la moitié de son imagination morbide débordante. Ah ironie quand tu nous tiens ...

Enfin bon tout ça pour dire que vers l'âge de 18 ans je rentrais à la fac, déterminé à faire mes preuves. Mais les écoles de photographie sont loin d'être données, c'est bien connu et donc à côté de mes cours je travaillais en tant que serveur dans un vieux bar miteux des environs. J'espérais vraiment parvenir à mes fins, pour moi j'avais trouvé ma voix. Un rêve fou me direz-vous ? Beaucoup le pensait oui mais au vu de ma vie pas vraiment des plus banale, j'estimais être en droit de croire à un miracle et ce même si j'étais tout ce qu'il y a de plus athée. Inutile d'essayer de me faire croire en une quelconque entité divine à moins que vous ne désiriez vraiment vous recevoir un exemplaire de la Bible en pleine face. Pour le coup je vous promet de vous faire rencontrer Dieu en personne.

Après moult batailles, l'ancien petit épileptique parvînt enfin à atteindre le rêve qu'il s'était fixé. Et oui ça y est... j'étais devenu un as des flashs et de la pellicule. Un maître en l'art de sublimer les choses et les hommes. Un génie ... bon vous avez compris l'idée. Et comme toute célébrité qui se respecte, je côtoyais le gratin de la haute société avec un naturel déconcertant. Coureur de jupons - et fier de l'être à cette époque - il n'était pas rare d'ailleurs que je termine dans le lit de riches partis ou de mes modèles. Je ne citerais pas de noms pour préserver leur anonymat mais vous seriez surpris de les connaître. Cependant tout bascula lorsque je fis sa rencontre. Enfin basculer.. pas tout de suite non plus puisque au début c'était purement sexuel entre nous, de simples parties de jambes en l'air que my gosh j'adorais renouveler dès que l'occasion se présentait. Il faut dire qu'elle avait tout pour me faire succomber. Elle se nommait Billie, Billie Ivanova. Nom que je connaissais bien pour son travail mais que je n'avais jamais eu le privilège de rencontrer et encore moins de partager ses draps. En fait là où tout a changé c'est quand ma ravissante brunette à la peau nacrée m’annonça qu'elle était enceinte. Trou noir. Blackout complet à cet instant. C'est bien on aurait pu fermer boutique, n'ayant plus personne apte à l'intérieur de ma tête pour gérer la nouvelle. Néanmoins je n'étais pas un lâche, je n'étais pas comme mon père biologique et par conséquent je refusais que mon futur enfant subisse le même genre de vie.

« Eh Billie je suis là ça va aller, prend ma main AAAAAAH ! Bordel j'ai dis prends pas broie ». Prise par une horrible contraction, ma brunette venait de me briser les doigts, hurlant de douleur sous le coup du choc. « La ferme ! Je te déteste !! Toi et ce que tu m'as fait ! ». La regardant désemparé sans ne pouvoir rien faire, mes yeux se perdirent sur le médecin qui préparait l'arrivée du bébé. Voyant mon désarroi celui-ci me répondit presque en plaisantant. Vachement drôle comme situation sérieux. « Ne vous en faites pas, c'est normal, elle ne le pense pas ». Reportant mon attention sur le visage de Billie meurtri par la souffrance, je n'étais guère rassuré. « Laissez-moi en douter Docteur.. ». En même temps je ne pouvais imaginer – heureusement d'ailleurs – l'effort considérable que cela devait être de mettre au monde un enfant. C'est vrai quoi, c'est comme tenter de faire passer une boule de bowling à travers la fente d'une paille. Je vous laisse imaginer les dégâts. Cela faisait près de quatre heures que le travail avait commencé, Billie donnant tout ce qu'elle avait et moi qui ne parvenait pas encore à réaliser ce qui allait suivre. « Je vois la tête ça y est, alors maintenant poussez aussi fort que vous pouvez ! Allez ! », dit-alors le médecin à ma compagne qui s'exécuta aussitôt, déchirant la pièce d'un bruit ahurissant. Curieux de nature, je ne pus m'empêcher d'aller voir ce qu'il se passait de l'autre côté et lorsque mes yeux se posèrent sur le miracle de la vie, laissez-moi vous dire que le fait que je ne sois pas étendu à même le sol, ça ça relevait du miracle. « Oh mon Dieu !! ». Oui je sais ne suis pas croyant mais rien d'autre ne m'était venu à cet instant. Devenant blanc comme un linge, je revins aussitôt vers elle, traumatisé par cette vision d'horreur. Diable comment pouvait-elle faire ça ?! Billie laissa une dernière fois échapper un gémissement affligeant avant qu'enfin la délivrance ne se fasse. Mes yeux s'écarquillèrent alors quand l'homme en question exhiba notre petite fille au monde extérieure, venant ainsi la poser sur la poitrine encore transpirante de Billie. Affichant un sourire béat, je l'embrassais tendrement sur le front avant de dire à notre bébé : « Bienvenue au monde Naely ». La Terre aurait pu s'arrêter de tourner, plus rien n'avait d'importance car j'étais avec les deux femmes de ma vie.